Cela se complique pour le nu-propriétaire qui devra être toujours plus patient avant de pouvoir profiter pleinement de son bien!
Les situations dans lesquelles un immeuble, un portefeuille-titres ou tout autre type de bien se retrouve "divisé" (le terme exact étant "démembré") en usufruit et en nue-propriété sont fréquentes. Ces situations peuvent résulter notamment:
- d’une succession entre le conjoint survivant (usufruitier) et les enfants du défunt (nus-propriétaires);
- de la donation d’un bien avec réserve d’usufruit;
- de l’acquisition d’un bien en usufruit par une personne et en nue-propriété par une autre;
- ...
Au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire devient plein propriétaire… sauf exceptions
L‘usufruit pour une personne physique étant généralement viager (c’est-à-dire que l’usufruit existe tant que la personne usufruitière est en vie), beaucoup pensent qu’au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire devient alors automatiquement et immédiatement plein propriétaire du bien.
Si, a priori, c’est bien la règle, en réalité, c’est de moins en moins vrai car les exceptions se multiplient au fil des réformes législatives.
La première exception est celle de l’accroissement conventionnel d’usufruit. De quoi s’agit-il? Jean et Marie donnent ensemble à leur fils Victor un immeuble mais ils souhaitent à vie pouvoir, ensemble ou le survivant d’entre eux, continuer d’y habiter ou d’en percevoir les loyers. Pour ce faire, ils procèdent à cette donation en se réservant l’usufruit et en prévoyant expressément l’accroissement de cet usufruit sur la tête du survivant c’est-à-dire qu’au décès du premier parent, Jean par exemple, Marie reste usufruitière de l’ensemble du bien donné. Cet accroissement ne constitue donc pas une surprise pour Victor qui sait dès la donation qu’il ne deviendra plein propriétaire qu’au décès de ses deux parents.
Nous avons vu apparaître en 2018 une nouvelle notion appelée usufruit successif. Gardons notre exemple des époux Jean et Marie avec leur fils Victor mais cette fois, c’est Marie qui possède seule l’appartement et qui le donne à son fils Victor en s’en réservant l’usufruit. Si au décès de Marie, seule usufruitière, son mari Jean est toujours en vie, la loi prévoit que celui-ci devient alors usufruitier. Du coup, Victor ne deviendra plein propriétaire de cet appartement qu’au décès de son père.
Ces premiers exemples montrent qu’il existe déjà beaucoup de situations dans lesquelles au décès de l’usufruitier, le nu-propriétaire ne devient pas immédiatement plein propriétaire.
Et ce sera encore moins le cas à l’avenir avec l’apparition de l’accroissement légal de l’usufruit!
De quoi s’agit-il?
Si plusieurs personnes sont usufruitières d’un bien, la loi prévoit désormais qu’au décès de l’une d’entre elles, sa part en usufruit vient accroître celle des autres usufruitiers, chacun en proportion de leur détention.
Prenons un exemple: Antoine et Marie sont frère et sœur et ont acheté ensemble un appartement à la mer. En 2024, ils donnent cet appartement à leurs enfants respectifs mais en se réservant l’usufruit.
Selon l’ancienne législation, au décès d’Antoine par exemple, si rien n’avait été prévu dans l’acte de donation, ses enfants devenaient alors pleins propriétaires de sa part dans l’appartement à savoir la moitié.
Depuis la récente réforme du droit des biens, au décès d’Antoine, et à nouveau si rien n’a été prévu dans l’acte de donation, son usufruit s’accroit d’abord sur la tête de sa sœur Marie qui devient alors usufruitière de l’ensemble de l’appartement. Les enfants d’Antoine, neveux et nièces de Marie, ne deviendront pleins propriétaires de la moitié de cet appartement qu’au décès de leur tante Marie.
A quelles conditions cet accroissement légal d’usufruit est-il applicable?
Une série de conditions doivent être réunies pour que cet accroissement puisse être d’application:
- Un usufruit entre deux ou plusieurs personnes physiques ou morales.
Dans notre cas, l’appartement était détenu 50/50 mais s’il avait été détenu à 99% par Antoine et 1% par Marie, l’accroissement total de l’usufruit d’Antoine aurait également joué en faveur de Marie.
Il semble également évident que si Antoine avait renoncé à son usufruit de son vivant au profit de ses enfants, l’accroissement ne s’appliquerait pas à son décès.
- Un usufruit sur des biens indivis ou communs.
- Un usufruit qui trouve sa source dans un titre commun dès sa naissance.
- L’accroissement légal de l’usufruit qui n’a pas été supprimé par convention entre les parties.
Et au niveau de la taxation?
L’accroissement légal de l’usufruit n’est pour le moment pas taxable et ce, quelle que soit la Région, l’administration fiscale ne disposant d’aucune base légale pour procéder à la taxation de celui-ci.
Qu’est-ce qui prime entre l’accroissement conventionnel, l’usufruit successif et l’accroissement légal?
L’accroissement conventionnel de l’usufruit a la priorité sur les deux autres.
Par contre, la question de savoir si l’usufruit successif prime l’accroissement légal de l’usufruit reste débattue. Et pourtant, les conséquences peuvent être très différentes!
Au niveau fiscal, c’est particulièrement important en Flandre où l’usufruit successif est taxé en droits de succession alors que l’accroissement légal de l’usufruit ne l’est pas.
Au niveau du transfert des droits, c’est également important. Si Antoine et sa sœur Marie ont donné l’appartement à leurs enfants respectifs en se réservant l’usufruit mais que, tant au moment de la donation qu’au moment de son décès, Marie était mariée à Jean, au décès de Marie, sa part en usufruit passera-t-elle sur la tête de son époux survivant Jean par le mécanisme de l’usufruit successif ou sur celle de son frère Antoine par le mécanisme de l’accroissement légal de l’usufruit?
L’accroissement légal de l’usufruit, une opportunité?
Cela dépend des situations et de la volonté des parties.
L’accroissement légal de l’usufruit protège les usufruitiers entre eux et peut donc présenter un réel intérêt pour eux… mais cela peut être à double tranchant.
En effet, c’est aussi un mécanisme qu’il faut bien garder en tête lorsque des opérations usufruit/nue-propriété sont réalisées d’autant que tous les contours de cette nouvelle notion ne sont pas encore parfaitement clairs.
Si l’accroissement légal de l’usufruit n’est pas souhaité par les parties, il faudra penser à le préciser dans l’acte de constitution de l’usufruit (ou dans un acte ultérieur). Dans le cas contraire, les nus-propriétaires risquent d’avoir de mauvaises surprises.