Aviation et perspectives de diminution de l’empreinte carbone: l’impossible pari?
Lors de mes vacances familiales de ce mois de juillet, un peu trop loin de Belgique pour y aller autrement qu’en avion, je débattais avec mes enfants sur la possibilité de se passer du transport aérien. Ces derniers sont jeunes et assez sensibles à la question sans s’en priver totalement lorsque la destination ne permet pas de s’en passer.
L’occasion m’est donnée dans cette chronique de faire une synthèse sur le développement de l’aérien compte tenu des légitimes exigences de décarboner l’économie et des prévisions de développement de ce secteur qu’on annonce massif dans les 20 prochaines années et en particulier en Asie.
Une lueur d’espoir apparait-elle dans ce ciel un peu brumeux ou, n’en déplaise aux militants farouchement opposés à ce moyen de transport, l’aspiration d’assister à une amélioration semble-t-elle illusoire tant l’aviation offre une somme d’avantages quasiment impossible à concurrencer?
Le constat du jour: 100.000 mouvements aériens chaque jour
Les chiffres donnent le tournis car une simple recherche sur internet dévoile, selon différentes sources, que pas moins de 100.000 avions prennent le large chaque jour. L’année 2023 fait état de 4.5 milliards de passagers sur l’année, soit environ 12.3 millions de passagers qui s’envolent toutes les 24 heures ou encore 142 personnes chaque seconde. Ceci représente environ 24.000 avions commerciaux desservant 3.500 aéroports. La part du lion est partagée entre les Etats Unis et la Chine, qui comptent respectivement 900 millions et 600 millions de passagers annuels.
Le trafic aérien a plus que doublé depuis 2000 et le secteur estime qu’il pourrait encore doubler d’ici 20 ans. Les marchés émergents sont au cœur du sujet car la classe moyenne y explose avec en corrélation l’envie de s’évader. La géographie dans ces pays rend les alternatives à l’aérien pratiquement impossibles.
Le secteur pèse 4.1% du PIB mondial pour 10% des humains qui voyagent
Il s’agit d’une force économique de premier plan puisque le secteur aérien contribue à hauteur de 2.700 milliards de dollars du PIB, soit 4.1% du PIB mondial. Si ce secteur était un pays, il se classerait au 8ème rang mondial entre le Canada et la France. Plus de 56 millions de personnes y travaillent et on comprend qu’il ne s’agit pas d’y aller à la hussarde dès lors qu’on souhaite diminuer l’impact de ce secteur aux énergies carbonées.
Il faut aussi mettre en lumière que ce sont souvent les mêmes humains qui voyagent puisqu’on estime que chaque année, seulement 10% de la population mondiale prend l’avion. Diverses études soulignent que 80% de la population mondiale n’a pas ou presque jamais pris l’avion. Même aux Etats Unis, pays riche, 50% de la population n’aurait jamais pris l’avion tandis que 12% des Américains effectuent les deux tiers des vols.
Entre ceux qui ne le prennent jamais, ceux qui le prennent de temps à autre et ceux qui en font un moyen de déplacement régulier, les différences sont abyssales puisque 1% des humains génèrent 50% des émissions de gaz à effet de serre de tout l’aérien.
L’énergie fossile au cœur de l’aérien avec 10 millions de barils consommés quotidiennement
Le problème se révèle aisément car ces avions ne volent pas par magie! Globalement, un plein représente suivant la taille de l’avion de 5.000 jusqu’à 250.000 litres pour les gros cargos de plus de 400 tonnes dont la moitié du poids est constitué de carburants.
Si chaque jour environ 100 millions de barils sont produits dans le monde, sachant qu’un baril de pétrole a une contenance de 159 litres, le calcul est aisé d’observer que nous produisons chaque jour 15.9 milliards de litres. De ce gâteau pour le moins impressionnant, environ 8 à 10% sont utilisés par l’industrie aérienne. Rendez-vous compte, 9 millions de barils de pétrole sont consommés chaque jour par l’industrie aérienne!
Il faut aussi souligner que, si pour le transport routier l’essentiel de l’impact climatique vient du dioxyde de carbone ou C02, les éléments sont plus complexes pour l’aérien puisque d’autres facteurs entrent en jeu comme par exemple l’oxyde d’azote, émis à haute altitude, qui contribue à la formation d’ozone troposphérique, un puissant gaz à effet de serre.
Au total, l’industrie aérienne serait responsable d’environ 2 à 3% des émissions mondiales de dioxyde de carbone, mais en tenant compte des autres effets, elle contribuerait à environ 3.5% du réchauffement climatique d’origine anthropique, c’est-à-dire humaine.
On comprend que le sujet soit clivant pour ceux qui s’intéressent aux chiffres, puisqu’une activité utilisée par 10 à 20% des humains serait responsable de 3,5% du réchauffement climatique.
Quelles sont les solutions miracles pour décarboner rapidement le transport aérien?
Malheureusement, force est de constater qu’au rayon des solutions à court terme, c’est un peu le désert de Gobi. Aucun scénario crédible sur le plan technologique ne se dessine. Certes, le secteur IATA (association du transport aérien) annonce qu’il sera neutre en carbone d’ici 2050, mais en prenant le temps de s’y intéresser, il n’est pas interdit d’émettre des doutes.
Une piste intéressante vise à rendre les avions beaucoup plus aérodynamiques en comparaison aux gros cigares portés par deux grosses ailes adoptés depuis les années 60 dont la portance n’est pas idéale. Les matériaux composites laissent entrevoir des progrès impressionnants. Sans rentrer dans les détails, on estime que les avions de demain économiseront jusqu’à 30% de kérosène. Certes, un progrès admirable mais encore loin de l’objectif de décarboner d’autant que nous avons vu combien le trafic continuera à croître.
Un nouveau kérosène miracle sans émission de carbone?
Les batteries électriques ne sont assurément pas une solution car leur densité énergétique est faible tandis que la batterie est volumineuse. Cela peut s’entrevoir dans le monde de demain pour des petites distances mais faire voler 250 passagers durant 6.000 kilomètres par ce mode d’énergie est illusoire.
La voie d’un carburant d’origine végétale et donc neutre en carbone (la croissance de la plante capture du CO2) est aussi un cul-de-sac car la place nécessaire pour faire voler toute l’industrie nous condamnerait à renoncer aux cultures vitales pour nous nourrir tant la demande est importante. Cela ne sera qu’une solution anecdotique qui existe par ailleurs déjà.
Demeure le fameux graal qui est sur toutes les lèvres, l’hydrogène vert? Ce dernier est paré de toutes les vertus pour la transition énergétique. Techniquement, c’est simple: au moyen d’une source d’énergie verte, on dissocie la molécule d’eau pour obtenir de l’hydrogène qui sera le carburant. Le poids constitue le premier défi car l’hydrogène a certes une meilleure densité énergétique par unité de masse mais point par unité de volume. Impossible de le transporter sous une forme normale tant la place occupée serait dantesque, on en reviendrait aux montgolfières.
Il faudra passer ce gaz sous forme liquide, qui implique de le refroidir à -253 degrés pour le rendre viable mais en occupant tout de même 3 fois plus de place que le kérosène. Les défis techniques seront gigantesques et l’ensemble de l’écosystème aéroportuaire devrait être modifié. Par ailleurs, selon les calculs disponibles aujourd’hui, pour obtenir une unité d’hydrogène utilisable dans un avion, il convient d’utiliser 4 unités d’énergie électrique, une fameuse perte de 75%.
N'omettons pas l’objectif de neutralité énergétique qui oblige à ce que l’électricité nécessaire à la fabrication d’unité d’hydrogène soit verte. Par rapport au parc énergétique "vert" disponible à l’heure actuelle, en admettant que tout soit orienté pour la production de kérosène "vert", l’entièreté des moyens disponibles en éolien, photovoltaïque, hydroélectrique sur la planète… devrait être dédié à l’industrie aérienne. Une gageure.
Voilà donc les problèmes posés de manière assez synthétique, je le confesse. Un besoin criant de voyager dans le cœur de l’humain, une industrie qui comprend qu’elle ne sera viable qu’à travers un nouveau modèle mais une situation encore largement à bâtir tant la ligne d’arrivée semble éloignée.
Sources: IATA (International Air Transport Association): IATA’s Net Zero Carbon Emissions by 2050 report; ICAO (International Civil Aviation Organization) Annual Report & Traffic Forecasts; IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change): Aviation and the Global Atmosphere report; World Bank’s World Development Indicators; NASA’s Aeronautics Research Mission Directorate reports; Statista’s Global Aviation Industry Statistics; Composites aérospatiaux: Propulser l’ingénierie aéronautique arrow.com; BBC’s reports on aviation and climate change; EDF Reducing aviation's climate impact; International Energy Agency: The future of hydrogen report.