Acquisition scindée usufruit/nue-propriété d’un immeuble: nouvelle décision de l’Administration fiscale applicable à partir du 1er août 2020
De quoi s'agit'il?
L’acquisition scindée est une technique de planification successorale assez courante mais qui fait couler beaucoup d’encre depuis de nombreuses années.
De quoi s’agit-il? Lorsqu’un investissement immobilier est envisagé, plutôt que d’acheter le bien en pleine propriété, les parents l’acquièrent en usufruit et le(s) enfant(s) en achète(nt) la nue-propriété. Son grand avantage réside dans le fait qu’au décès des parents, leur usufruit s’éteint de plein droit et les enfants (nus-propriétaires) deviennent pleins propriétaires, sans devoir acquitter des droits de succession. Pour ce faire, il y a lieu de respecter scrupuleusement certaines conditions et ce, que cet achat concerne un bien situé en Belgique ou à l’étranger.
Une des conditions est qu’au décès de l’usufruitier, les nus-propriétaires doivent pouvoir démontrer qu’ils ont payé le prix d’acquisition de leur nue-propriété avec leurs propres moyens financiers. Si cette preuve ne peut être apportée, les nus-propriétaires pourront devoir payer des droits de succession sur l’immeuble concerné au décès de l’usufruitier, en application de l’article 9 du Code des droits de succession.
Il est donc essentiel pour les enfants de conserver précieusement cette preuve (notamment les extraits de compte qui pourront, par prudence, être agrafés à l’acte d’acquisition) et ce, parfois pendant de très nombreuses années, puisqu’il faut le démontrer au décès de l’usufruitier.
Et s’il y a donation préalable des fonds aux enfants?
Le problème est que, fréquemment, les enfants ne disposent pas, au moment de l’acquisition, des ressources suffisantes pour financer l’acquisition de la nue-propriété de l’immeuble. C’est pourquoi, dans la plupart des cas, les parents procèdent d’abord à la donation d’une somme d’argent à leurs enfants, pour leur permettre de payer leur nue-propriété.
Cette situation a donné lieu à de nombreuses positions de l’administration fiscale, dont nous ne referons pas l’historique. La dernière décision administrative, publiée le 7 juillet 2020, nous apporte de nouvelles précisions (extraits de la décision) :
"Dans le cas d'une acquisition scindée, la preuve contraire sera rapportée si la preuve de la date de la donation préalable des fonds au tiers est apportée par tous les moyens légaux, à l'exception du serment et des simples affirmations des parties elles-mêmes ou des documents émanant d'elles. (…)
Il n'est pas non plus exigé que la donation soit reçue par acte authentique : il est suffisant de prouver, en dehors de l'acte d'acquisition lui-même, que les fonds ont, le cas échéant, été donnés (par acte authentique, par tradition manuelle ou par donation indirecte) avant le paiement par le nu-propriétaire de sa part dans le prix.
Toutefois, dès que le paiement d'une somme (acompte, garantie ou autre) est prévu dans l'acte sous seing privé signé préalablement à l'acte authentique, c’est la date de cet acte sous seing privé qui est le moment déterminant, même si l’acquisition est effectuée sous condition suspensive. Cela signifie que le montant total à payer par le nu-propriétaire doit avoir été donné avant la signature de cet acte sous seing privé, même par exemple dans les cas où :
- cette somme (acompte, garantie ou autre) est payée en totalité par l'acquéreur de l'usufruit tandis qu'elle est ensuite déduite de la part propre de l'usufruitier dans le prix de vente ;
- cette somme (acompte, garantie ou autre) n'est, finalement, pas déduite du prix à payer. (…)
Ce point de vue est applicable à toutes les opérations juridiques réalisées à partir du 1er août 2020."
Quelles conséquences?
Cette décision a pour conséquence que la totalité de la valeur d’acquisition de la nue-propriété devra avoir été donnée aux enfants avant toute signature de compromis de vente (sauf si aucune somme - acompte ou garantie - n’est réclamée au compromis, ce qui est rare en pratique).
Avec cette décision, nous avons également la confirmation formelle de l’administration fiscale que la donation préalable des fonds ne devra pas nécessairement être réalisée par acte authentique ou être obligatoirement enregistrée (dans ce dernier cas, si le donateur décède dans les trois ans suivant la donation sans qu’il y ait eu enregistrement de celle-ci, des droits de succession seront dus sur les fonds donnés). Par contre, son antériorité à l’acquisition devra être prouvée car, à défaut, il y aura présomption de simultanéité. Cette antériorité suppose que l’ensemble de (l’exécution de) la donation devra être réalisée à l’avance et, au grand plus tard, la veille de la signature du compromis (prévoyant le paiement d’une somme).
Nous ne saurions donc trop recommander de ne pas attendre le dernier délai pour réaliser cette donation et, dans la logique de l’administration, il est sans doute préférable que les nus-propriétaires paient déjà leur quote-part de l’acompte ou de la garantie prévue dans le compromis (en conservant les preuves ici également).
En conclusion: anticipation et rigueur
Dans l’hypothèse où vous souhaiteriez réaliser une telle acquisition démembrée usufruit/nue-propriété, il conviendra donc de préparer adéquatement et bien à l’avance cette opération et d’être assisté par votre notaire, afin de suivre la procédure correcte pour l’ensemble de l’opération, conserver l’ensemble des preuves (preuves de la date de la donation préalable, du paiement par le nus-propriétaires de leur part dans le prix …) et ce, de manière à éviter une surprise désagréable au décès de l’usufruitier.